Circonstance, noter, nomade : Figures choisies
à l'usage des pratiques musicales circonstancielles
FRÉDÉRIC MATHEVET

Cet article est une réflexion à voix haute sur les pratiques musicales circonstancielles. Si les sons environnants et les corps sonores in situ paraissent une quête évidente pour celui qui veut sortir de l'atelier et se confronter au « grand cluster vivant », ils cachent pourtant une question essentielle : que pouvons-nous composer avec ces sons contextuels ? Y a t-il besoin d'en rajouter ? Et si oui, quelle forme cela peut-il alors prendre ? Un petit détour théorique pour expliquer deux de mes pratiques : les Partitions circonstancielles et les Pocket Musics.

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Circonstance

Je vais déployer la seule figure qui n'est pas chorégraphique, qui n'est pas une figure « de l'amoureux au travail », mais qui pourtant est essentielle et complémentaire à la plasticité parce qu'elle en constitue le milieu.

Si la grammaire française nous apprend que l'on peut se passer d'une proposition circonstancielle, le nouvel ordre mondial semble au contraire ne construire que cela. Fête des mères, fêtes des pères et des grand-mères, vacances d'hiver à la montagne et vacances d'été au soleil, rentrée des classes et des émissions de télévision, nouvel an, grippes A, aviaire et porcine, sécheresse, attentats, catastrophes… Le rythme alterné des saisons a laissé place à une succession de circonstances à profusion. Ou, disons-le immédiatement, à la succession d'une certaine forme de circonstance : des événements. En effet, pour comprendre notre circonstanciel, nous allons devoir nous livrer à ce petit jeu de va-et-vient entre les contraires. Selon nous, l’événement est du circonstanciel qu'on a sorti du cours des choses et auquel on a donné une individualité. « Un événement, en effet, n'est pas n'importe quel instant, mais fait saillie et se détache par rapport à ce renouvellement continu d'où naît la duréeFrançois Jullien, Les transformations silencieuses : chantiers, 1, Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2009, p. 116.. »

L'événement, c'est du circonstanciel mythologique. Non seulement, il a « la capacité de “se” produire, comme s'il détenait en lui une initiative ou du moins sa propre individualitéIbid. », mais encore, il « contient un inassimilable, ou fait signe vers un dehors, qui transcendent toute explication simplement causale et appellent le secours d'une interprétation : tant demeurerait encore fascinante en lui l'énigme de son origineIbid. ». (Le point n'est dans la citation que si celle-ci est en entier, à partir du début de la phrase) Bref, l'événement est une circonstance qui « survient », qui se fait remarquer par le caractère exceptionnel qu'elle se donne, débordant le moment présent et laissant miroiter de grands bouleversements. L'événement est une circonstance dramatisée, une rupture promise, une tension à étancher, une fable et une intrigue à la fois, un grand récit. Et cette phénoménologie de l'événement fait sortir la circonstance de sa temporalité : le moment et la durée qui constituent la circonstance se déplacent vers une éternité.

Toute notre vie est prise dans une suite d’événements perpétuels. Les médias et la publicité nous construisent un monde merveilleux fait d’événements, de construction d'inédit et d'inouï, et c'est toute notre temporalité, et avec elle ce qu'elle porte de sensible et de subjectif, qui est formatée par l’événementiel. Le circonstanciel est devenu un concept marketing, comme une carrosserie, un vêtement. On « package » une portion d'espace et de temps : c'est tout un dispositif « intermédial » qui fait saillir des climax perpétuels nous tenant dans une intersubjectivité et une éternité commune. Un terrorisme de l'inouï où la circonstance se résume à une intensité (construite).

Alors que les surréalistes (« magique circonstancielle », André Breton) et les situationnistes (la situation) avaient cherché une échappatoire dans la circonstance, voici que notre société postindustrielle, toujours prête à domestiquer, nous en propose une version prêt-à-porter.

La caractéristique fondamentale du circonstanciel par rapport à l'événement est la contingence. Son corollaire est l'opportunisme. Notre conceptualisation « occidentale » est toujours réfractaire au particulier. Elle valorise les généralités et les abstractions, ce qui explique aussi cette pensée de l’événement au détriment de la « circonstance ».

Dans La Préparation du roman,Roland Barthes, La Préparation du roman I et II : cours et séminaires au Collège de France (1978-1979 et 1979-1980), « traces écrites », Paris, Seuil Imec. Barthes nous apporte une aide précieuse pour nous rapprocher de la circonstance, particulièrement en analysant une forme poétique qui use beaucoup de la « circonstance » dans son processus de création : le haïku. Page 88, Barthes se propose de mettre en vis-à-vis le début du poème de Verlaine « Chansons d'automne » (Poèmes saturniens, 1866) et un haïku de Shôha :

les sanglots longs
des violons
de l'automne

Verlaine, Poèmes saturniens

l'enfant
promène le chien
sous la lune d'été

Shôha



Nous nous en tiendrons à cet exemple pour faire apparaître les caractéristiques d'un milieu qui ne supporte pas d'interprétation possible, ni d'autres arrière-mondes. De cette comparaison nous relèverons quatre points qui nous apparaissent essentiels à la pensée du circonstanciel dans le processus créatif. Barthes insiste en effet sur des points qu'il va à chaque fois nommer pour tenter de saisir la particularité de l'écriture haïkiste : l'absence de métaphore, le kigo, le tangibile et l'instantané.

La première remarque concerne la métaphore de Verlaine. La tradition rhétorique occidentale amène à une généralité. L'automne ici convoqué pourrait être tous les automnes du monde. Or, l'idée d'instantanéité et de rencontre avec le réel rendent absolument impossible, voire inapproprié, l'usage rhétorique. Dans l'écriture du haïku, ce qui compte, c'est la concomitance entre l'écriture et la contingence. Mais, précise Barthes, il s'agit de bien plus que d'une contingence, « un haïku, c'est ce qui survient (contingence, micro aventure) en tant que cela entoure le sujet – qui cependant n'existe, ne peut se dire sujet, que par cet entour fugitif et mobile [c'est moi qui souligne, parce que ce n'est pas sans rappeler notre sémiotique plastique]. Donc plutôt que contingence, penser circonstance ». Barthes fait allusion ici à l’étymologie de circonstance : circum stare, « se tenir autour ».

Préférant l'hypotyposeUne hypotypose est une figure qui regroupe l’ensemble des procédés permettant d’animer, de rendre vivante une description au point que le lecteur « voit » le tableau se dessiner sous ses yeux. Il s’agit donc d’une figure de suggestion visuelle. (minimale) à la métaphore, le haïku comme la photographie dit « ça à eu lieu ». Barthes a de très belles phrases à propos du haïkiste : il souligne, selon lui, « le pli sensuel du réel », il constate « l'éclat mat de la réalité ». Le haïkiste parvient à un certain réalisme par excès de subjectivité. Et pour que prenne le précipité, le petit poème va s'appuyer sur deux éléments : le kigo (mot emprunté au Japonais), et les tangibilia (mot latin convoqué par R. Barthes).

Dans l'écriture d'un haïku, nous le rappelle Roland Barthes, « il y a toujours une allusion à la saison : le kigoRoland Barthes, La Préparation du roman, op. cit., p. 66. ». « Dans le haïku, poursuit-il, il y a toujours quelque chose qui vous dit où vous en êtes de l'année, du ciel, du froid, de la lumière […] Vous n'êtes jamais séparé du cosmos sous sa forme immédiate : l'oikos, l'atmosphère, le point de la course de la Terre autour du Soleil.Ibid. » Dans un Haïku, il y a également un mot qui a pour référent une chose concrète, quelque chose que l'on pourrait toucher, des tangibiliaTangibilia, sur tangibilis : « ce qui peut être touché, palpable ».. Le pli sensuel souligné par Barthes.

La figure « circonstanciel » est donc complémentaire à notre sémiotique plastique. Le circonstanciel est le milieu nécessaire pour que les formalisations temporaires prennent. C'est dans du circonstanciel que peut s'épanouir la plasticité, parce que le moment, le contexte, la situation sont débarrassés de la fable.

Mais comment le précipité prend-il dans ce milieu circonstanciel ? L'attitude du haïkiste qui prends conscience de son assentiment heureux à des éclats de réel n'est pas sans rappeler la mètis grecque décrite par M. De Certeau (ça serait bien d'harmoniser la façon dont on parle des auteurs : avec leur prénom, abbrévié ou pas ?) à propos des opérations virales résistantes.

La mètis grecque est cette forme d'intelligence « toujours immergée dans une pratique » où se combinent « le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la feinte, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité, des habiletés diverses, une expérience longuement acquiseMarcel Detienne et Jean-Pierre Vernant, Les ruses de l'intelligence. La mètis des grecs, Paris, Flammarion, 1974, p. 9-10. ». Elle va nous permettre de saisir en quoi le concept de circonstance est la pierre angulaire de notre sémiotique plastique.

Pour Michel de Certeau, la mètis est une mémoire – l'expérience des anciens par exemple – mais c'est une mémoire qui « brille dans l'occasionOp. cit., p. 126. ». En effet, le circonstanciel propose du contexte, de la situation et du moment, et la plasticité n'a plus qu'à se déployer, profitant de sa mémoire, pour ]donner_recevoir_détruire[ ou non des formes temporaires qui serviront de support à d'autres circonstances. M. de Certeau précise avec justesse que l'« occasion ne cesse de tromper les définitions, parce qu'elle n'est isolable ni d'une conjoncture, ni d'une opérationIbid., p. 127. ». L'occasion, qui n'est pas sans rappeler le circonstanciel que nous avons décrit jusqu'ici, est une torsion dans une situation par le rapprochement de « dimensions qualitativement hétérogènes » (cf. Les figures gouttière, couture, intervalle) que la plasticité se charge de mettre en forme ou non.

Le circonstanciel est saisi comme circonstance parce qu'il rappelle à la mémoire les formes passées (pour le dire simplement) et permet de choisir, de manière efficace, la formalisation adéquate dans le procès plastique en cours. La circonstance est saisie en même temps que son potentiel, le plasticien alors est celui qui se dispose à saisir le potentiel de toutes les circonstances, à accueillir le monde.

Et pour notre composition au risque de la plasticité, la circonstance est riche d'enseignements. L'enregistrement sonore (field recording) et d'une certaine manière l'objet sonore lui-même peut s'appréhender d'un tangibile et d'un kigo. L'espace percu en stéréophonie, les voix, les cloches, les chants d'oiseaux, les buldozzers sont autant d'indices et d'index sonores d'une circonstance. Comme la photographie, l'objet sonore circonstancielle bénéficie d'un « ça à été ». « Enregistrer » devient l'exercice d'une conscience microphonique qui restitue le monde sonore, le grand cluster vivant, au discours indirect libre (avec tous les écarts de représentation inhérents aux matériels d'enregistrement). Plus de métaphores et de surinterprétations du sensible par l'intelligible, l'enregistrement et sa diffusion investiront plutôt la métonimie et l'asyndète comme processus de re-présentation. Le micro-réceptacle circonstanciel s'épanouit d'une poïétique des branchements fautifs que nous avons mis en oeuvre dans nos Partitions circonstancielles et nos Pocket Musics.

NOTER

Les Partitions circonstancielles, les esquisses et les ratures des carnets, et, d'une certaine manière, les Pocket Musics relèvent de la figure « Noter ». Son intérêt tient à ce qu'elle s'inscrit dans une pratique « ménagère », elle est une gymnastique particulière.

Elle suppose des dispositifs techniques et matériels faits d'arrangements de poches, de sacs et de stylos. Et lorsqu'il s'agit de « notation » plastique, on imagine facilement la débauche matérielle, même minimum, qu'elle requiert : appareil photo, enregistreur, caméra, carnet pour le dessins, pour l'écriture, papier à musique… Puis, elle est et reste « personnelle », voire intime. Si prendre des notes est indispensable aux œuvres à venir, l'espace de visibilité qui leur est donné est quasi nul. La prise de notes est un sous-produit artistique, une pratique en amont de l'œuvre, constitutive, partie submergée d'un iceberg, des « petits riens » où pourtant se déploient et se constatent les motilités et les mutations de la plasticité au travail. R. Barthes dans La Préparation du romanIbid., p. 137. nous rappelle que c'est une pratique qui suppose d'avoir un œil sur la page, l'autre sur ce qui arrive. Tout le dispositif technique et matériel, préparé pour le moment de la prise de notes, permet d'« écrire le présent en le notant au fur et à mesure qu'il tombeIbid. »(pas d'espace entre l'apostrophe et la cotation). « Des copeaux« Copeau ? Oui : mes scoops personnels et intérieurs (scoop : pelle, écope, action d'enlever avec une pelle, rafle, coup de filet, primeur). Les très petites nouvelles qui me sont personnelles et que je veux “rafler” à même la vie. » in Ibid. de présent, tel qu'il vous saute à l'observation, à la conscience » qui suppose de la notation qu'elle soit une activité extérieure et soudaine. Ce qui n'est pas sans rappeler notre figure circonstance.

 

« Noter », c'est tout un rituel pragmatique d'organisation de ses poches et du fond de ses poches, pour se rendre disponible au présent. Parce que la pratique de la notation, c'est-à-dire la saisie de la circonstance attend de celui qui s'y adonne une certaine disposition d'esprit et suffisamment de temps pour en saisir le moment. Pour « noter » il faut être disponible, ce qui engendre toutes une quantité de préparations et d'agencements méticuleux qui permettront la pleine réception du présent, d'« ausculter le grand cluster vivant » (Claude Ballif).

De ce fait, « noter » c'est faire une intersection. La notation est entre la marque - elle isole et elle sacrifie - et le flux, celui du langage de la notation : littéraire, musicale et sonore, graphique… Les trois flux sont brassés dans le cas d'une notation polyartistique comme la notre, ce qui n'est pas sans poser des problèmes supplémentaires car les lieux de l'inscription, de la marque, sont multipliés.

Ce peut être le carnet (soumis à un choix stratégique de taille à laquelle correspondent le choix du sac, des poches et des vêtements), la carte mémoire de l'appareil photographique, celle de l'enregistreur numérique, de la caméra… Fort heureusement, les technologies contemporaines proposent maintenant des machines hybrides qui englobent tout à la fois le son, l'image fixe et mobile, sans pour autant renier les qualités minima d'enregistrement et de rendu. La préparation à la notation, l'arrangement quotidien de son méta-carnet est un prolongement de notre méta-atelier. Dans la mesure où le matériel choisi va déterminer une pratique, c’est-à-dire un mode opératoire sensible. L’espace du travail artistique est implicite dans le matériel que nous choisissons. Or, si le travail artistique traditionnel supposait un lieu spécifique à sa réalisation, la définition de l’atelier contemporain paraît bien floue. La souplesse aujourd’hui essentielle à la pratique artistique contemporaine réclame un lieu aux limites intérieur/extérieur beaucoup moins précises qu’auparavant, vaporeuses : un méta-atelier.

 

Notre méta-carnet, comme notre méta-atelier, constitue avant tout un espace mental. Il tient tout aussi bien dans la poche ou dans un sac que dans le tissu de 0 et de 1 de l’ordinateur. Ils sont, alternativement, la caravane du camping ou la seconde chambre de notre F3, la maison de campagne ou notre ordinateur portable que nous ne quittons plus. C’est un espace nomade qui s’adapte à une pratique plastique nomade. C’est une boîte à outils mobile. Vous l’aurez compris, le méta-atelier a tout à voir avec la « plasticité » telle que nous la défendons depuis les premières pages de ce livre. De la même manière, « noter » est le prolongement, le membre fantôme de notre méta-atelier, son lien logique parce que chaque notation suppose le retour à l'atelier. Roland Barthes, à ce propos, distingue la notula de la nota.

La notula désigne cette note sur le vif que nous avons définie jusqu'ici. La nota suppose quant à elle un travail de transformation de la note prise sur le vif, pour une œuvre à venir, dans un autre espace, neutre : l'atelier. La nota est un travail de réécriture de la notula où « le muscle se demande si cela en vaut la peineIbid., p. 139. », parce que le développement des photos, la réécriture des notes, l'écoute, le classement et le montage des sons dévalorisent ce qui n'a pas assez de force sensible pour exister comme « œuvre ». Il y a, souvent, une perte de « l'enchantement perçu » du moment de la notation sur le vif au passage à l'atelier, ce qui explique sans doute cette volonté de chercher des dispositifs qui permettent à la notula d'être déjà une nota, et même l'œuvre : le dessin des Partitions circonstancielles qui décolle immédiatement l'objet sonore de circonstance de son présent, ou les pratiques sonores minimales des Pocket Musics, qui ajoutent par interactivité ou différenciation des actions sonores au field recording.

 

Pourtant, nombreuses sont les notes, qui, désenchantées, finiront dans la corbeille.

 

Nomade

« Noter » ouvre aux pratiques musicales nomades. La prise de note qui cherche à faire coïncider le vif, le motif, le « présent comme il tombe », avec le désir artistique de faire une œuvre, invite à proposer de nouvelles façon de concevoir l'écriture musicale (mais nécessairement polyartistique puisque la circonstance est polysensorielle) Circonstancielles ou « de poche », ces pratiques musicales in situ nient la syntaxe traditionnelle. Mais l'histoire de la musique peut nous fournir des exemples d'écriture « nomade » que nous avons réinvestis dan nos pratiques circonstancielles.

Daniel Charles, avait déjà repéré des formes nomades de composition dans l'histoire de la musique récente. En particulier en analysant la notion de drone et de bourdon. Selon lui, le drone procède à une dé-syntaxe de la musique notamment lorsqu'il est associé à un ornement mélodique. La mélodie se déploie autour du drone comme axe et « dans une telle mélodie, le mouvement n'est pas syntaxique, il y a nomadisation sur placeDaniel Charles, La fiction de la poste modernité selon l’esprit de la musique, coll. « Thémis philosophie », Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 103. ». Daniel Charles trouve aussi cette « nomadisation » musicale dans l'ostinato de la Rhapsodie espagnole de Ravel et dans des constructions répétitives de motif (pattern) en décalage (l'écriture contrapunctique de Steve Reich par exemple).

Pierre Boulez, dans une lecture relativement linéaire qu'il fait de l'histoire de la musique, remarque aussi la création d' objets vagues chez plusieurs compositeurs. C'est le cas de ces accords vagues (accord de quinte augmentée, de septième diminuée, de septième et de quinte diminuée par exemple), c'est-à-dire ambigus parce qu'appartenant à plusieurs tonalités qu'on retrouve chez Wagner (le premier accord de Tristan und Isolde, 1857, appelé aussi « accord de Tristan » qui change de signification selon les contextes dans le déroulement harmonique de l'opéra) et qui s'épanouiront à leur façon chez Malher et Shönberg. Mais si l'accord vague joue sur l'ambiguïté d'une neuvième ou d'une septième pour que l'auditeur perde ses repères dans une tonalité donnée, P. Boulez repère aussi des accords connus mais défonctionnalisés. Ceux-ci, plus présents dans l'écriture de Moussorgsky, de Debussy ou de Stravinsky, s'ils peuvent être nommés et classifiés n'ont plus de référence directe à une matrice. Ils sont « le fruit du moment, de la rencontre instantanéePierre Boulez, Leçons de musique, Paris, Christian Bourgois, 2005, p. 355. ». Les objets vagues cultivent une ambiguïté dans un milieu donné, au contraire des objets défonctionnalisés qui sont coupés de leur milieu.

Ces trois formes de nomadisme musical peuvent nous permettre de penser notre pratique musicale circonstancielle et nous donnent des pistes quant aux actions sonores (et visuelles) qui peuvent s'y associer.

  Saillances de la circonstance
(mélodie, texture, structure, scenarii, espace)
  Interactions Différentiations
Opérations Imiter
Prolonger
Broder
Ajouter
Inclure
Interventions Mélodie axiale
Drone
Ostinato/répétition
Objet défonctionnalisé (collage/montage)
Objet vague (ambigu)

Vérifie bien que je n'aie pas oublié des italiques !



Frédéric Mathevet fait partie du comité éditorial de la revue L'Autre musique. Il est docteur en arts plastiques et enseigne les arts plastiques dans une école. Il est également artiste plasticien et compositeur.