Comment se fabrique le son d'un film ? Quand il faut escamoter les circonstances d'enregistrement pour mieux reconstituer une ambiance.
Ce que nous faisons comme simple auditeur
Naturellement, tous les jours, à tout instant,
nous sommes entourés par des sons. Nos oreilles sont
sans cesse en activité. Nos tympans vibrent à chaque
nouvelle variation de la pression acoustique.
Par effet mécanique, au niveau de la cochlée, ces
variations sont transformées en un signal électrique,
ensuite transmis au cerveau.
Chaque information est triée, répertoriée, et associée
si possible à un élément déjà connu (déjà entendu).
Cette analyse influence le comportement de l'auditeur :
il reconnaît la voix d'un ami et prête attention
à ses propos ; il se prépare à se battre ou
à fuir après avoir entendu le cri d'une bête féroce…
Ce traitement des informations sonores se fait de manière instantanée. Le cerveau fait également le choix de mettre en valeur tel ou tel autre élément sonore entendu. Nous parlons du pouvoir discriminant du cerveau.
L'écoute causale
Dans le cas de la conversation, dans un premier temps, le cerveau localise les voix dans l'espace, en jugeant tout d'abord la distance qui sépare l'auditeur de la source sonore. On parle de l'écoute causale : il faut déterminer la nature et la cause de la source sonore. L'intensité des voix (l'équivalent du volume) est son premier paramètre. Plus cette intensité est faible, plus le cerveau juge que la source est éloignée de l'auditeur.
Cette distance est également mesurée par le cerveau selon l'appréciation de l'acoustique du lieu d'écoute. Pour cela, il mesure à tout moment deux paramètres : le champ direct et le champ réverbéré.
Champ direct – champ réverbéré
Une source sonore émet dans toutes les directions. L'ensemble de ces ondes émises se propagent dans toutes les directions. À la rencontre d'obstacle sur leur parcours, elles se réfléchissent, se diffractent, ou encore se diffusent. À chaque fois, elles perdent un peu de leur énergie initiale et finissent par s'éteindre totalement, faute d'énergie.
Le champ direct correspond à l'ensemble des ondes qui arrivent directement à l'auditeur, c'est à dire celles qui parcourent la distance la plus courte entre la source et l'auditeur (la ligne droite).
Le champ réverbéré constitue l'ensemble des autres
ondes parvenant à l'auditeur, c'est-à-dire celles
ayant subi une réflexion, une diffraction, ou une
réflexion.
Le cerveau mesure le rapport entre champ direct
et champ réverbéré.
L'effet de masque
Dans son analyse apparaît alors l'effet de masque. Il s'agit de la capacité d'un son, du fait de son volume, à masquer un son plus faible. Par conséquent, si le champ réverbéré est prépondérant à l'écoute, le cerveau juge que l'auditeur est éloigné de la source. Et inversement. Un troisième cas se présente lorsque le champ direct et le champ réverbéré interviennent à hauteur égale, sans effet de masque.
Le champ réverbéré donne également des indications sur la nature du lieu dans laquelle émet la source. En extérieur, il n'y a pas ou peu d'obstacle, le champ réverbéré est quasi inexistant. A l'opposé, dans une église, le champ réverbéré est très présent. Le lieu lui même était conçu pour mettre en valeur la musique jouée.
À l'écoute de ce champ réverbéré, l'auditeur sait instantanément dans quel lieu se situe la source. Pour cela il fait appel dans son cerveau à sa « bibliothèque de son ».
Seconde étape : l'écoute sémantique
Une fois déterminée la distance, le cerveau s'intéresse
à la nature des voix. On parle alors de l'écoute
sémantique.
À ce moment entre en compte le champ spectral de
la source, c'est-à-dire les fréquences sonores qui
la composent.
Pour rappel,
une onde acoustique est caractérisée par deux qualités :
sa période et sa fréquence. La période correspond
au temps nécessaire à l'onde pour faire un cycle
avant de se répéter, elle s'exprime en secondes (s).
La fréquence correspond au nombre de cycles qu'effectue
l'onde en une seconde et s'exprime en Hertz (Hz).
L'être humain est capable d'entendre des ondes
situées entre 20 Hz et 200 Khz.
Les fréquences les plus proches de 20 Hz constituent les basses fréquences et celles proches de 20 KHz les aiguës. Celles entre les deux correspondent au médium.
Chaque source sonore est composée d'un ensemble de fréquences. Celle qui va caractériser la source s'appelle la fondamentale. Il lui est associé des harmoniques, qui correspondent à des multiples entiers de la fondamentale. Cette source est enfin caractérisée par un dernier groupe qu'on appelle les fréquences partielles.
Le champ spectral de la voix humaine se situe entre 1 KHz et 6 KHz. Les fondamentales sont dans cette zone, ainsi que les premières harmoniques. Les fréquences partielles sont situées au delà de cette zone. Ces dernières donnent des indications sur la voix : homme, femme, jeune, âgée, calme, en colère, etc.
Le cerveau associe ensuite chacun des phonèmes qui constituent les mots d'une conversation pour en comprendre le sens.
L'illusion d'un processus naturel
Toutes ces étapes naturelles, que nous faisons à chaque moment de notre vie, ne peuvent être reproduites instantanément en tournage lors de la captation d'un plan, et d'autant plus lors de la post-production d'un son. La difficulté consiste à reproduire le réel, ou en tout cas le travail d'interprétation du cerveau sur les éléments sonores qui l'entoure. Au delà de cette reproduction, l'objectif est également de donner l'illusion d'un processus naturel.
L'ingénieur du son de tournage s'applique à reproduire
autant que possible le travail de discrimination
du cerveau sur le son, en essayant d'isoler à son
tour des éléments sonores jugés utiles à la réalisation
d'un film.
Pendant le tournage, il collecte, trie et répertorie
ces éléments sonores, avec la meilleure qualité possible.
En faisant un parallèle avec le travail d'un peintre, nous pourrions comparer le travail du preneur de son à celui de la composition des couleurs sur sa palette. L'ingénieur du son a pour objectif de collecter le maximum de couleurs, de nuances, en rapport avec le tableau à venir – en l'occurrence ici un film.
Lors de la post-production, le monteur son et le mixeur utilisent l'ensemble de ces couleurs pour composer le tableau. A travers le travail de la bande son, ils recréent l'illusion de la discrimination du cerveau en mettant en valeur certains éléments sonores, par le mixage. Cette étape consiste en fait à un équilibrage du volume de chacune des sources entre elles. En accord avec le réalisateur certains éléments seront mis en avant par rapport à d'autres, à différents moments du film.
Le scénario, le dépouillement
Par la lecture du scénario, le preneur de son de
tournage fait connaissance avec l'histoire et découvre
ainsi le propos d'un auteur.
Il n'y a que trop rarement dans le scénario des
indications concernant des intentions sonores sur
certaines séquences. Le plus souvent cela se limite
à : « il quitte la pièce en claquant la
porte ».
Ceci nécessite une rencontre avec le réalisateur, afin de l'interroger sur ces intentions en terme
de son. Certains ont des choses à raconter, à proposer,
mais le plus souvent ils n'y ont pas réfléchi. Il
faut alors les aider, les guider, pour aboutir à
un début d'intention.
Ces premières remarques sont déterminantes sur
certains choix de matériel, et sur la manière d'aborder
la prise de son lors du tournage.
De manière plus logistique, lors du dépouillement
du scénario, le preneur de son traite le film séquence
par séquence et détermine les besoins en son pour
chacune d'entre elles.
Ce dépouillement va permettre de déterminer le nombre de sources sonores présents à l'image. En l'occurrence ce sont le plus souvent des êtres humains, des objets sonores de la vie moderne, des animaux, ou encore la végétation. Il faudra choisir en conséquence le matériel pour capter les sons émises par ces sources.
Le scénario nous permet également de connaître les lieux du tournage et d'adapter le matériel en fonction des conditions climatiques et des éléments sonores perturbateurs présents dans le lieu.
Son direct ou post-synchronisation
Avec l'arrivée au début des années 50 du Nagra, enregistreur portable à bande magnétique mono, et de caméras portables silencieuses, l'enregistrement du son s'est libéré de la contrainte du tournage en studio.
Jusqu'alors le son était généralement post-produit après le tournage. Au cours du tournage, le bruit généré par les caméras ne permettait pas d'assurer une bonne prise de son. Les preneurs de son n'enregistraient qu'un son dit témoin. Les comédiens revenaient en studio pour ré-enregistrer leurs voix qui étaient ensuite « couchées » sur la bande son définitive du film.
Ces innovations techniques ont permis l’avènement du « cinéma direct » et donné ses lettres de noblesse au « son direct ». Le son direct correspond au son enregistré lors d'une prise entre les mots « action » et « couper ».
Cette vague du son direct a eu un grand succès en France avec les cinéastes de la Nouvelle Vague. On peut parler d'une école du son direct en France. Ces ingénieurs du son défendent tout d'abord l'idée du son pris dans le réel, sur le vif, sans autre artifice. La justesse du jeu des comédiens est pour eux sans égal en comparaison du son post-synchronisé.
Dans les deux cas, le spectateur ne se rendra pas
techniquement compte de la différence.
Dans un souci de pragmatisme, certaines productions
préfèrent ne pas tourner en son direct, afin de ne
pas avoir à gérer les pollutions sonores éventuelles
rencontrées sur les différents lieux du tournage.
Gérer, cela veut dire négocier ce silence, le monnayer,
ou encore l'attendre. Cela peut devenir problématique
en terme de budget. C'est pourquoi il arrive que
toutes les voix soient refaites en post-production.
Mais encore faut-il avoir le budget pour faire revenir
l'ensemble des comédiens…
Généralement, en France, les productions sont dans
un entre deux. Si le son direct fonctionne, on ne
s'en privera pas, mais on se réserve l'opportunité
de faire revenir les comédiens en studio sur certaines
prises, si besoin.
L'objectif du preneur de son est alors de limiter
au maximum la post-sychronisation, afin de mettre
le plus en valeur son travail. Et pour cela, son
travail commence dès les repérages.
les repérageS
Lors des repérages de lieux de tournage, le preneur
de son vérifie deux éléments essentiels : l'acoustique
du lieu de tournage en lui même, et l'espace environnant
le lieu du tournage.
En ce qui concerne l'acoustique, il cherche toujours
à avoir un rapport champ direct - champ réverbéré
le plus neutre possible. Il préfère les lieux avec
un champ réverbéré peu présent, afin de privilégier
l'intelligibilité des sources sonores. Cette dernière
passe essentiellement par le champ direct.
Dans le cas d'un lieu trop marqué acoustiquement
par le champ réverbéré, le preneur de son essaye
d'en faire changer. Si le réalisateur souhaite à
tout prix tourner dans ce lieu, ou encore si la production
ne peut, pour des raisons d'argent tourner autre
part, le preneur de son demande des moyens pour casser
l'acoustique et diminuer le champ réverbéré, en installant
par exemple des panneaux acoustiques, ou en suspendant
des grands tissus noirs épais.
Après la visite du lieu, le preneur de son se promène dans le voisinage afin de repérer les sources sonores intempestives, suffisamment fortes pour polluer la prise de son : autoroutes à proximité, chantier de travaux publics, aéroport, école, etc. Si une telle source existe, l'objectif est de déterminer quelle contrôle le preneur de son a sur elle. Peut il la couper à loisir ? En fonction de cette marge de manoeuvre, il est décidé, en accord avec la production, de la validation ou non de ce lieu.
Bi-pistes ou multipistes ?
Pour répondre à cette question, nous pourrions dire qu'il s'agit uniquement d'une question de budget. Travailler en multipistes coûte plus cher. Mais au delà de l'argent, il y a de grandes différences dans le travail.
Le tournage en bi-pistes impose au preneur de son de mixer l'ensemble de ces micros sur 2 pistes distinctes. Cela l'oblige à faire plus de choix sur le tournage. Plusieurs micros peuvent être mélangés sur une seule et même piste, à condition que le preneur de son gère en temps réel le niveau de chacun, l'un par rapport à l'autre. En fonction des besoins et de la mise en scène, il décide d'ouvrir ou de fermer un micro plutôt qu'un autre. N'ayant que dix doigts quand il a un perchman, et qu'une paire d'oreilles, il doit être malin et trouver le dispositif de prise de son le plus simple, nécessitant le moins de micro possible.
A l'opposé, tourner en multipistes, à 4, 6, 8 ou encore 10 pistes, permet de multiplier l'utilisation de micros, de leur associer à chacun une piste. Les choix peuvent alors être faits en post-production. Mais le plus souvent, les monteurs images n'ont pas le temps en montage de gérer ces fichiers multiples. Ils demandent au preneur de son leur livrer un « bi-pistes », que l'on appelle aussi mix down. En fiction généralement, nous retrouvons sur ce bi-pistes le micro de la perche seul sur une piste, et l'ensemble des micros-cravates cachés sur les comédiens, mixés sur la seconde piste. Le preneur de son réserve ensuite une piste supplémentaire pour chaque micro-cravate. Ces pistes s'appellent des « divergés ». Ce sont des pistes de secours, pour palier à un éventuel problème dans le mix des micros cravates sur le mix down. Les problèmes peuvent être divers : frottement de vêtement perçu par l'un des micros-cravates, mauvais mixage d'un micro, un comédien touche le micro par inadvertance, le micro-cravate se décolle du vêtement tombe, etc.
Tout au long du tournage, que ce soit en bi- ou
en multi-pistes, c'est le cadre, où plutôt ce qui
se passe dans l'image, qui guide le preneur de son.
En résumant, tout ce qu'on voit à l'image et qui
génère du son dans la vie « réelle », doit
être capté par le preneur de son.
Les outils techniques de l'ingénieur du son pour isoler au mieux les sources sonores…
Pour capter au mieux une source sonore, le micro
doit être au plus près de cette source.
Au cinéma, le preneur de son est tributaire du
cadre, ou plutôt de ses limites. Le dispositif de
prise de son ne doit pas être au delà de ces limites,
qu'on appelle également les bords du cadre. Le preneur
de son s'attache toujours, notamment avec la perche,
à être à la limite du bord du cadre.
Le dispositif de prise de son peut être également
dissimulé dans l'espace du cadre.
Dans le cas où la puissance de la source est trop forte, le preneur de son peut utiliser des micros dynamiques, peu sensibles. Ce manque de sensibilité leur permet d'encaisser les forts niveaux et d'éviter la saturation du signal. Dans le cas d'un environnement trop bruyant, qui masque le son de la source utile, le micro dynamique utilisé en micro main, très proche de la source, permet d'isoler cette source du reste de l'environnement sonore.
Dans le cas où, du fait du cadre, le preneur de son est trop éloigné de la source, il utilise une catégorie de micro appelé micro électrostatique. Ce sont des micros bien plus sensibles que les micros dynamiques. Ils permettent donc d'être plus éloignés de la source, tout en assurant une bonne captation de celle-ci.
Autre outil à leur disposition : la directivité des micros. Elle correspond à peu près à l'angle de captation du micro. On pourrait la rapprocher de la focale des objectifs d'une caméra. Plus la directivité d'un micro sera large, plus il captera une scène sonore dans son ensemble, sans isoler une source par rapport à une autre. Le micro à la directivité la plus large est l'ominidirectionnel.
Le micro à la directivité la plus réduite est le super cardioïde, qui permet d'isoler une source lointaine du reste l'environnement sonore, qui l'entoure.
Le dernier micro à disposition est le micro cravate. Il s'agit d'un micro de la taille d'une tête d'épingle, que le preneur de son peut à loisir dissimuler sur une personne, ou cacher dans le décor.
Perche ou Micro cravate ?
Ces micros fonctionnent différemment et n'apportent
pas du tout la même chose en terme de prise de son.
Ils sont même complémentaires.
C'est la raison pour laquelle ils sont séparés
en prise de son de tournage : la perche seule
sur une piste et les micros-cravates mixés sur une
autre piste, dans le cadre du mix down.
Étant au bord du cadre de l'image, la perche donne
à chaque fois un son en rapport avec la valeur de
plan de l'image. En effet, dans le cadre d'un plan
large, où un personnage est tout petit dans l'image,
le son que capte la perche est peu présent, car éloigné
de la source, et correspond à l'expérience du spectateur :
quand une personne est éloignée de nous, nous avons
du mal à l'entendre.
Dans le cas d'un plan serré, où nous verrions en
gros plan le visage du comédien, la perche capte
alors la voix avec un volume fort et une bonne intelligibilité.
Le son de la perche est toujours fidèle à ce que
l'on voit à l'image, à condition bien sûr que la
perche soit placée au bord du cadre.
Dans ces conditions, la perche donne un bon rapport
entre champ direct et champ réverbéré, lié avec ce
qu'on voit à l'image. Elle capte les mots d' un comédien
de manière intelligible grâce au champ direct, et
le place dans une acoustique dans un espace grâce
au champ réverbéré.
Quand il est fixé sur une personne, le micro-cravate a l'énorme avantage d'être proche de la source – en l'occurrence la voix. Il permet d'avoir à tout moment une bonne intelligibilité de la voix et un bon niveau en terme de volume. Cependant, placé toujours à la même distance de la source, il ne est jamais en cohérence avec le cadre, sauf bien sûr en cas de gros plan. De plus, en raison de sa proximité avec la source et par effet de masquage, le micro-cravate ne capte jamais le champ réverbéré, et ne place donc pas le comédien dans un espace.
Ces deux micros sont pour autant complémentaires
quand ils sont mixés. Suivant le ratio que l'on choisit,
le micro-cravate peut ramener de l'intelligibilité
sur une prise où la perche en manque. La perche assure
également le placement du comédien dans une acoustique.
Dans certains cas, la perche se suffit à elle même,
car le ration champ direct - champ réverbéré est
suffisamment bon. Dans d'autres cas, c'est le micro-cravate
qui est le plus utile, car le lieu est trop bruyant
ou la perche trop éloignée, du fait d'un cadre large.
Toutes ces décisions, se font bien sur en fonction du cadre et de la réalisation.
La préparation d'un plan
Avant toute installation technique, le preneur de son détermine l'espace où il peut s'installer sans gêner l'image. Il s'agit de l'espace hors-champ. Il s'arrange à être au plus proche de la zone filmée, qu'on appelle le plateau, afin d'avoir une vision directe de celui-ci.
Ensuite, il s'intéresse à l'environnement du plateau et s'assure qu'il n'y a pas de bruit de parasite : travaux, circulation, etc. S'il en trouve, il essaie de déterminer sa marge de manoeuvre, s'il a des moyens à sa disposition pour couper ces sons.
Une fois géré l'extérieur, il se penche sur les sons parasites du plateau en lui-même. Tout d'abord, il s'intéresse aux éléments de décor en eux-mêmes. Dans le cas d'un décor en lieu réel, dans un bar par exemple, le preneur de son cherche tous les bruits éventuels liés à des frigos, des laves-vaisselles, des percolateurs, des ventilateurs, des téléphones, etc. Autre exemple : si le tournage a lieu dans une maison avec des parquets très bruyants, le preneur de son va demander à ce que soit posé une moquette au sol, pour limiter les grincements.
Une fois ces éléments connus et gérés, il s'intéresse au matériel de l'équipe technique pouvant produire des parasites dans sa prise de son. Des projecteurs peuvent générer des buzz électriques. Il négocie avec le chef électricien responsable de la mise en place technique des éclairages, pour qu'il privilégie les projecteurs les moins bruyants ou qu'il éloigne les plus bruyants du plateau. Le déplacement d'un plateau de travelling peut générer des grincements. Le preneur de son demande alors au chef machiniste de graisser ses roues ou d'appliquer du talc sur les rails.
La caméra peut aussi faire un léger bruit. Le preneur de son demande dans ce cas à l'assistant caméra de « blimper » la caméra, en la couvrant d'une housse censée couvrir le bruit.
Dans le cas de l'utilisation de poches plastiques très bruyantes comme accessoires de jeu, le preneur de son demande à l'accessoiriste de préférer si possible les sacs en carton.
Dans le cas de vêtements en matière synthétique
près du corps, générateurs de bruits captés par le
micro-cravate, le preneur de son demande à la costumière
des vêtements en coton un peu plus lâches.
Une fois gérés tous ces parasites, il passe à la
prise de son en elle-même.
Ce qui guide le preneur
de son de tournage, c'est le plan, le cadre. Ce qui
se voit dans le cadre doit s'entendre. Ensuite, en
fonction de la valeur du plan de la focale, c'est
à dire de l'espace qu'occupent les sujets dans le
cadre, le preneur son adapte sa prise de son. Il
ne fait pas le même son sur un plan large avec un
personnage perdu au centre de l'image et sur un gros
plan de son visage.
Il applique cette technique à l'ensemble des plans
du film. Il s'intéresse ensuite au nombre de plans
qui composent chaque séquence, en fonction de quoi
il adaptera sa prise de son.
Si la séquence se tourne en un seul plan (on parle
de plan séquence), le preneur de son doit s'assurer
que toutes les sources sonores sont captées, même
si elles sont hors-champ en début et ne deviennent
« in » (dans le champ) qu'au cours de la
séquence (et inversement).
Pour assurer ce travail, il dispose de deux techniques.
La première consiste à installer un dispositif de
prise de son pour chaque source. Cela suppose un
emploi conséquent de micros, et du temps pour les
installer. Il nécessite également l'emploi d'un enregistreur
multi-pistes pouvant affecter une piste pour chaque
micro supplémentaire.
La seconde technique consiste à mettre en valeur
certaines sources par rapport à d'autres. Les voix
sont généralement prioritaires, en particulier celles
des personnes dont on voit la visage à l'image et
plus précisément celles dont on voit la bouche bouger.
Le preneur de son capte tout d'abord ces sources.
Toujours dans le cas du plan séquence, pour les
sources secondaires, comme les personnages de dos,
ou encore les sons d'objets ou naturels, le preneur
de son a la possibilité de les enregistrer plus tard,
après la prise. Ces sons sont appelés les « sons
seuls », car ils sont enregistrés sans l'image.
Nous reviendrons plus en détail sur la notion de
son seul.
Dans le cas où la séquence est découpée en plusieurs plans, l'ingénieur du son se limite à ce qu'il voit à l'image pour chaque plan. S'il ne capte pas le son d'un personnage de dos sur un plan, il pourra toujours utiliser le son de ce personnage lors d'un autre plan, quand il est de face.
Le tournage d'un plan
Avant de tourner le plan, l'ingénieur du son demande
un « silence plateau ». C'est malheureusement
généralement le seul moment où il y a un silence
complet. En quelques instants, il s'assure que tous
les bruits parasites sont gérés et ne nuisent pas
à la prise de son. Si un nouveau bruit apparaît,
il doit très rapidement en trouver la source, ainsi
qu'un moyen de le couper. La qualité de l'ingénieur
du son de tournage se mesure alors, en ce qu'il a
su repérer, anticiper et gérer l'ensemble des bruits
parasites du plateau. Au cours de ce silence, le
preneur de son fait également ses ultimes réglages
et vérifie le bon fonctionnement de l'ensemble de
ses micros.
Une fois ce silence imposé, le tournage du plan
peut avoir lieu.
À chaque fin de prise, le preneur de son marque
sur un rapport la qualité de la prise et valide ou
non le son direct. Il précise les problèmes rencontrées,
comme le bruit d'avion dans le ciel, celui d'une
voiture qui klaxonne au loin, une saturation sur
la voix d'un comédien, le « personnage »
du chien aboie alors qu'il devait être muet, si une
personne de l'équipe technique a fait tomber un objet
pendant la prise, etc. Il note également les sons
seuls à faire ,comme des bouts de réplique par exemple,
ou encore les bruits de pas d'un personnage, etc.
Un bon preneur de son est capable de signifier
ses problèmes à l'équipe, notamment à la réalisation,
et sait s'en faire entendre : on l'écoute et
on lui laisse le temps de les régler.
L'ambiance raccord
Lorsque l'ensemble des
plans d'une séquence sont tournés, le preneur de
son enregistre de 30 secondes à une minute de silence
du décor dans lequel vient d'être tourné la séquence.
C'est l'ambiance raccord. Il s'agit d'une ambiance
technique. Elle permet au monteur de son d'assurer
l'homogénéité de la bande son cette séquence. Elle
est généralement couchée en bruit de fond sur la
bande de son, au moment d'un changement de plan et
donc de son. On parle alors de « raccord image
et son ». Cette ambiance est placée de part
et d'autre de ce raccord, afin qu'il n'y ait pas
de rupture dans la bande de son au moment du raccord.
Cette ambiance peut aussi être considérée comme
ambiance dite qualitative, car elle donne la couleur
sonore du lieu dans lequel est tournée la séquence.
C'est le cas des tournages en décor réel, par exemple
au bord de la mer, en montagne, dans une église,
dans un avion, etc.
Elle peut être placée sur la totalité de la séquence
et facilitera l'ensemble des raccords son.
Elle est bien sûr mixée en dessous des sources
importantes de la séquence (par exemple les voix
des personnages lors d'une séquence de dialogue).
Le son seul
Il correspond à l'ensemble des sons qui sont tournés
sans l'image. Il s'agit généralement de toutes les
sources secondaires, ou de celles négligées voire
carrément éteintes pendant les prises de vue. On
peut citer comme exemple le tic tac d'une horloge
ou encore les bruits de pas d'un comédien sur du
parquet. Pendant la prise, cette horloge a pu être
débranchée, les bruits de pas du comédien ont pu
être étouffés suite à la disposition au sol d'une
moquette.
Le son seul peut aussi être en relais de sources
principales défaillantes. Par exemple, sur les voix
des personnages principaux, le preneur de son peut
être amené à ré-enregistrer des bouts de répliques
ou des phrases entières, si les enregistrements n'ont
pas été de bonne qualité.
L'enregistrement des sons seuls permet au preneur
de son de compléter sa gamme de couleurs de son représentative
du lieu. Ces sons seront utilisés en montage son
afin de participer au relief et à la profondeur de
la bande son, pour placer le spectateur dans un espace
sonore.
L'idéalisation du son au cinéma ou comment faire croire à la réalité d'un son.
Lors du montage son, les différents éléments sonores
autres que ceux du son direct sont placés sur la
bande de son. Un prémixage de ces différents éléments,
c'est-à-dire une première discrimination des sources
est faite, par le choix de mettre en valeur un élément
par rapport à un autre, en augmentant son intensité
sonore (son volume) ou en la baissant.
Par l'organisation de ces sources, nous contrôlons
indirectement l'attention du cerveau du spectateur.
Il s'agit plutôt d'une incitation à l'écoute. Il
lui reste quand même la possibilité de ne plus prêter
attention au son du film (mais alors il lui semblera
sans intérêt).
Dans le cas où il est captivé par l'intrigue, le mixage son l'invite à écouter telle ou telle source. Le mixeur, en accord avec la réalisation, peut également décider d'entraîner le spectateur sur des fausses pistes.
Le mixeur joue sur plusieurs paramètres pour le captiver ou le leurrer : le son hors-champ, la spatialisation du son, la synchrèse et les silences.
Les sons hors-champ correspondent aux sons situés hors des limites du cadre. Ce sont des sources que le spectateur entend mais qu'il ne voit pas dans le cadre. Par la spatialisation, le mixeur peut donner une indication de localisation de la source dans l'espace hors-champ : à gauche, à droite, à l'arrière gauche, à l'arrière droite. Il peut également déplacer cette source à loisir dans tout l'espace hors-champ, en fonction des besoins de la mise en scène. Le réalisateur peut enfin décider de ne jamais symboliser cette source à l'image. Il met alors en jeu l'imagination du spectateur. Ce peut être un ressort dramatique. Dans les films de suspense, on joue beaucoup avec le son hors-champ : le héros se fait poursuivre par son pire ennemi, d'autant plus effrayant qu'on l'entend sans jamais le voir.
En associant un son à un élément visuel dans le cadre, le mixeur joue en permanence sur le phénomène de synchrèse. Théorisée par Michel Chion, « elle correspond à la soudure irrésistible et spontanée qui se produit entre un phénomène sonore et un phénomène visuel ponctuel, lorsque ceux-ci tombent en même temps, cela indépendamment de toute logique ».
Cet effet est notamment utilisé pour le doublage
des films étrangers. Si l'on regarde bien les lèvres
des comédiens, elles ne correspondent pas du tout
aux mots entendus. Et pourtant les spectateurs n'y
prennent pas attention et acceptent cette incohérence.
Il en va de même pour certains sons d'effets, sur
les coups de feu notamment. Dans le film Pulp
Fiction, de Quentin Tarantino, ces sons d'arme
à feu sont exagérément amplifiés et totalement différents
du son réellement produit par ces armes. Le mixeur
joue sur l'imaginaire collectif, la plupart des spectateurs
n'ayant jamais assisté à une fusillade (et le réalisateur
non plus). En s'appuyant sur la synchrèse, ces sons
étant synchrone à l'image, le mixeur fait passer
ces sons pour réels. Ce système de dupe va encore
plus loin. Car les spectateurs, n'ayant d'autres
référents sonores de fusillades que celles vue au
cinéma, associent les sons entendus aux sons réels
d'une fusillade.
Autre exemple : dans Apocalypse Now,
Francis Ford Coppola a sacralisé le son d'hélicoptère.
Il fait croire aux spectateurs que ce son est totalement
caractéristique de celui de l'engin. Pourtant, quand
on prend pour la première fois un hélicoptère, le
son qu'on entend se rapproche au mieux d'un vulgaire
mixeur de légumes de cuisine. Le réalisateur donne
sa vision idéalisée d'un son au service de son film.
Ce bruit d'hélicoptère nous accompagne dans Apocalypse
Now tout au long du film et représente désormais,
dans l'inconscient collectif des spectateurs de cette
génération, le son symbole de la guerre du Vietnam.
En guise de conclusion…
Tout au long du tournage, le preneur de son essaie
d'isoler les sources sonores grâce à des dispositifs
de prise de son spécifique et en s'affranchissant
au mieux des contraintes sonores du lieu de tournage.
Il peut anticiper ces problèmes, mais s'adapte le
plus souvent en tant réel aux circonstances du tournage.
Une fois les sources utiles isolées, l'ingénieur
du son s'intéresse aux spécificités du lieu et à
ces sources secondaires, qui jusque là « parasitaient »
le signal utile. La captation de ces sources permet
lors du montage son de donner à la bande son une
illusion de naturel, en replaçant les sources utiles
dans un espace sonore.
Olivier Foucher est ingénieur du son et enseigne dans deux BTS d'audiovisuel (à Bordeaux et à Bègles).