Ouvertures circonstancielles
JEAN-PHILIPPE VELU

Des partitions pour d'autres œuvres circonstancielles.

ÉCOUTER LE SON

Now est une série d’interventions sonores dans la ville. Pour chacune de celles-ci, le contexte détermine l’intervention. Il peut revêtir un caractère amusant, amusé, revendicateur, sociologique etc.

Now1 : le marché

La « voix haute » se fait rare en milieu urbain, et l’injonction, habituellement associée aux circonstances de crise – vol, bagarre, etc. – ne se fait entendre que trop rarement. Mais il reste encore un bastion du verbe et de la parole haute : le marché…

Cette intervention sonore consiste à utiliser des clichés de bruits de ferme (notamment « la boite à meuh », objet sonore singulier pour citadin en mal de prairie) et la répétition de voix de primeurs (« 3 euros le kilo » « Elles sont fraîches mes tomates ! » « Mangez des champignons ! » « Elle est belle ma ciboulette ! » « Achetez la caisse, mon mari est offert », etc.)

L’enregistrement pourrait être une déambulation linéaire, ponctué de part et d’autre par des bruiteurs/répétiteurs/déformateurs.

Now2 : sac en papier ? sac en plastique ?

Now 2 prendrait la forme d’un enregistrement sonore avec beaucoup de figurants. Peut-être la forme d’une vidéo. Suivre des sacs en plastique, la veille du réveillon, près des galeries Lafayette. Et puis, prendre d’autres sacs en plastique et encore d’autres sacs en papier et plein de sacs en plastique. Puis déambuler dans les rayons des galeries et observer ce qui se passe…

Now3 : arrêté du 23 novembre 1979

L’intention de Now 3 est un tantinet subversive, quant à la place du musicien dans la ville.

Vous connaissez certainement ce pont où les joueurs de musette donnent à Paris « son charme d’antan ». Mais ne vous y méprenez pas, le charme de Paris se passe bien des musiciens, en confirme cet arrêté du 23 Novembre 1979 :

101-1 - Interdiction de certains bruits gênants.
Sur les voies publiques, les voies privées accessibles au public et les lieux publics, sont interdits les bruits gênants par leur intensité, leur durée, leur forte charge informative ou leur caractère agressif tels que ceux produits par :
- les cris et les chants de toute nature, notamment publicitaires, les émissions vocales et musicales, l'emploi d'appareils et de dispositifs de diffusion sonore, - l'usage d'instruments de musique, sifflets…

Remarquons au passage que la police serait, au regard de cet arrêté, porteuse de « bruits gênants ».

Now 3 propose donc de faire dialoguer, sur le pont Saint Louis, un accordéoniste et deux sifflets.

Now4 : la tour Eiffel grelotte

Les sites touristiques sont emplis de surprises sonores. C’était notamment le cas sous la Tour Eiffel. Il y a encore peu de temps, nombre de vendeurs à la sauvette y faisaient résonner des sons « inouïs » : des scintillements sonores, grâce aux Tours Eiffel – miniatures, bien-sûr – qu’ils y vendaient…

Cet environnement sonore a aujourd’hui disparu ; le jeu de la souris et du chat ayant mal tourné, un homme est mort à la suite d’une course poursuite avec la police.
Hommage quasi post mortem à ces malheureux « fabricants » d’environnement sonore, Now4 se voulait être une spatialisation pour vendeurs de Tours Eiffel et percussionnistes sur le parvis du Trocadero.

Un enregistrement que j’avais réalisé en vue de cette performance, témoigne encore de ce paysage sonore disparu :

La série Now n’a pas de limite et tout à chacun pourrait, selon les usages et les matériaux sonores qu’il a à proximité, créer de mini scénettes. De même, le field recording pourrait être un outil d’appréhension, de compréhension de l’espace et de son usage.

La passerelle

D’autres lieux méritent un intérêt pour leur sonorité, nécessitant une écoute plus particulière, à l’instar de la passerelle des Buttes Chaumont. La passerelle transmet très bien les sons de vibration, et recèle une multitude de bruits intrinsèques (rambardes, gardes corps, platelage en bois, couvertine en aluminium, câbles de différents diamètres, contreventements, etc.). Ce travail – en cours – consiste à récupérer l’ensemble des sons de la passerelle – grâce à des micros piezo –, de les assembler, de les détourner numériquement et dans un dernier temps, de les réinjecter sur le pont grâce à des hauts parleurs à résonateur.

Extrait de la première phase d’étude et de détournement de la couvertine du garde corps :

La passerelle

La question du recyclage, si elle est d’actualité en architecture et dans les usages domestiques, n’a encore que trop peu de place dans le domaine du son. Il a donc été proposé, lors des journées Bellastock – qui regroupent des étudiants en architecture construisant sur un terrain vague des habitations temporaires à partir de déchets – de réaliser un laboratoire de recyclage sonore. Nous avons pris le parti de récolter et recycler les sons du site, et de les réinjecter dans une installation éphémère, fragile, et en perpétuelle évolution.

Rennes - Saint Malo

Si le recyclage implique des circonstances particulières, le voyage, et plus particulièrement le trajet, permet d’autres approches à l’espace et au sonore.
Dans cette création radiophonique, le voyageur, égaré dans ses rêveries, mis somnolant, bercé par les grincements du train, se construit une histoire autour des noms de station…

Le pont d’Oléron

ll s'agit d'une prise de vue du pont d'Oléron, post traitée par un algorithme. Le réseau physique, matériel, que représente le pont a été réutilisé, déformé, afin de dévoiler un autre type de réseau... un réseau cette fois abstrait, noueux, filaire.
Des fils-réseaux qui, dans leur expression spatiale, revêtent un caractère quasi phonique... 
Car, ici, nous pourrions entendre le bruit blanc d'un poste de radio, mêlant des voix lointaines, distantes et grésillantes : par exemple, celles d'un match de foot argentin répondant aux conseil de préparation d'une recette de cuisine moléculaire... Ou encore celles d'un débat politique, ponctué du chant d'un coq chinois... ou encore...

Cette photographie, projetée durant le festival Sonor de Nantes, a également fait l’objet d’une improvisation par le pianiste et compositeur Jean-Michel Bardez.

Jean-Philippe Velu est architecte, musicien et photographe.